Introduction
Le 2 août 2024, la Cour supérieure du Québec a rendu une décision sans précédent confirmant qu’un mécanisme d’appel pouvait être intégré dans une clause d’arbitrage. Selon l’honorable Chantal Masse, J.S.C., rien n’empêche les parties de convenir d’un processus d’appel en matière d’arbitrage, permettant à un organisme d’arbitrage d’appel de valider ou d’annuler une sentence arbitrale initiale.
Contexte
En juin 2023, 9727272 Canada Inc. (« 972 »), un concessionnaire automobile basé à Laval, a demandé un arbitrage dans le cadre d’un litige avec McLaren Automotive Inc. (« McLaren »). McLaren a d’abord réussi à contester la compétence de l’arbitre désigné, soutenant notamment que le contrat n’était pas en vigueur et que la clause d’arbitrage contenue dans celui-ci était partiellement contraire à l’ordre public. L’arbitre a donc décliné sa compétence dans une décision rendue le 24 août 2023, concluant notamment que le contrat entre les parties n’avait pas été signé et que leur comportement indiquait une intention de le faire.
Par la suite, 972 a utilisé le mécanisme d’appel prévu par le contrat, et la sentence initiale a été annulée par décision du panel d’appel rendue le 30 octobre 2023. Ce panel a rétabli la compétence de l’arbitre, après avoir constaté que (i) l’appel était régi par l’article 75 des Règles du Programme national d’arbitrage des concessionnaires automobiles (NADAP) et (ii) que l’article 632 du Code de procédure civile du Québec (CPC) n’empêchait en rien les parties de convenir d’un tel processus d’appel. Le panel a donc renvoyé l’affaire à l’arbitre pour qu’il statue sur le fond.
Partant du principe que, puisque le mécanisme d’appel prévu dans le contrat était invalide, cela annulait la décision du panel d’appel, McLaren a ignoré la décision de ce dernier et s’est tourné vers la Cour supérieure pour faire homologuer la sentence initiale de l’arbitre.
Jugement de la Cour supérieure
L’honorable Chantal Masse, J.S.C., rédigeant au nom de la Cour, a rejeté la demande de McLaren visant à faire homologuer et annuler une sentence arbitrale, confirmant ainsi la validité du processus d’arbitrage ainsi que la compétence du panel d’appel dans cette affaire.
La Cour a noté que, bien que les tribunaux n’aient généralement pas compétence sur les questions découlant d’un accord d’arbitrage, ils conservent un rôle lorsque le processus d’arbitrage convenu par les parties donne lieu à une décision interlocutoire sur la compétence de l’arbitre. L’article 632 CPC permet aux tribunaux de se prononcer sur la question de la compétence des arbitres lorsqu’il s’agit d’une décision préliminaire à cet égard.
La juge Masse a également souligné que le premier alinéa de l’article 648 CPC, interprété à la lumière des articles 2638 et 2643 du Code civil du Québec et des articles 622 et 649 CPC, n’exclut pas que les parties s’accordent sur un mécanisme d’appel arbitral, à condition que la compétence de la Cour supérieure du Québec soit préservée une fois la sentence finale rendue et qu’elle ne puisse être exercée que par voie de demande d’annulation. Pour la Cour, la compétence du tribunal est totalement préservée, même lorsque l’on fait appel à un tribunal d’appel arbitral. De plus, la Cour a précisé que si l’intention législative avait été d’empêcher les parties de convenir d’un processus d’appel en arbitrage, celle-ci aurait été clairement exprimée dans la loi.
Enfin, McLaren n’a pas prouvé que les règles du Programme national d’arbitrage des concessionnaires automobiles étaient incompatibles avec l’article 648, paragraphe 1 CPC, ou contraires à l’ordre public québécois. Par conséquent, la Cour n’a pu accepter les arguments avancés par McLaren, à savoir que les parties ne pouvaient pas valablement convenir d’un droit d’appel auprès du panel d’appel au vu des articles 648 et 622, paragraphe 3 CPC.
Conclusion
En somme, la Cour supérieure offre une nouvelle perspective sur l’interprétation des mécanismes d’appel en matière d’arbitrage selon le droit québécois. En rejetant la demande de McLaren, la Cour a confirmé que les parties pouvaient valablement prévoir un processus d’arbitrage avec un droit d’appel « contractuel », tant que les principes fondamentaux de la compétence des tribunaux et du droit de demander l’annulation de la sentence étaient respectés. Ce jugement ouvre la voie à une plus grande flexibilité dans la rédaction des conventions d’arbitrage, notamment dans le cadre de contrats commerciaux complexes, où les parties souhaitent aménager un droit d’appel par contrat.
Points à retenir
La décision de la Cour supérieure du Québec marque une étape significative dans la manière dont les mécanismes d’appel en arbitrage sont perçus. Elle offre aux parties la possibilité d’intégrer un droit d’appel dans leurs accords d’arbitrage, renforçant ainsi la prévisibilité et la confiance dans le processus de résolution des litiges. Cela pourrait particulièrement s’avérer utile dans des transactions d’envergure où des enjeux importants sont en jeu. En favorisant une telle flexibilité, le cadre juridique québécois semble s’adapter aux attentes tant des entreprises que des consommateurs, tout en maintenant les garanties fondamentales de justice et d’équité.
- Source image(s) : www.fasken.com
- Source : https://www.fasken.com/en/knowledge/2025/01/un-mecanisme-dappel-arbitral-a-meme-la-clause-darbitrage